La géographie du Chili me surprend toujours : il a des mensurations de top model, filiforme, 4 300 par 400 km. Tout en longueur, il se déroule du désert le plus aride au monde au nord, jusqu’aux champs d’îles glaciales au sud. Il se niche entre la côte de l’immense Pacifique à l’ouest et la muraille longtemps infranchissable des Andes à l’est. Son relief laisse songeur, il évoque les deux bosses d’un chameau : la première, c’est la cordillère des Andes et la seconde, c’est la cordillère de la côte, moins haute, moins étendue et nettement moins connue. Dans cette « bosse », nous sommes allés découvrir le Parc National Nahuelbuta, situé dans la petite chaine de montagnes du même nom, au nord-ouest de la région de l’Araucanía. Et il était temps ! Car aussi loin qu’il s’en souvienne, Benjamin a écouté son père parler de la beauté de Nahuelbuta où il a passé une partie de son enfance…
Tout le Chili en un coup d’œil
Partir hors saison est souvent gage de basse fréquentation, de campings dépeuplés et de sentiers déserts. Pas cette fois-ci : une centaine d’élèves d’une école huppée de Santiago est en classe verte dans le parc et occupe la totalité du camping. Le garde nous conseille donc de nous installer dans l’aire de piquenique non loin. Du coup, il ne nous fait pas payer : à 10 000 CLP la nuitée, nous avons de la chance ! Une fois installés, nous suivons le sentier le plus connu du Parc National Nahuelbuta : Piedra del Aguila.
Il mène à un affleurement rocheux du même nom, à 1 379 m d’altitude. Vers le sommet, les arbres s’éclaircissent soudainement alors que le sol disparaît au profit de la roche. Il faut monter un peu plus, gravir quelques marches d’escaliers en bois qui facilitent l’ascension et enfin, nous y voilà : la forêt s’étend aux pieds de la Piedra del Aguila comme la mer au pied d’une falaise et le vent souffle sans obstacles. D’où je suis, la petite cordillère semble prendre le lieu comme point de départ à sa traversée du Chili et jette contre le ciel bleu ses pentes vertes… A l’est, quelques volcans andins dominent l’horizon, leurs cimes enneigées apparaissent de loin en loin. Posés là comme représentants de la célèbre cordillère, ils font penser à des phares indiquant aux voyageurs l’obstacle imminent sur leur chemin. Oui, la vue est impressionnante, depuis les Andes jusqu’au Pacifique par très beau temps. On peut voir d’un bout à l’autre du Chili !
La forêt enchanteresse de Nahuelbuta
Ce qui nous émerveille toutefois, c’est la magnifique et très ancienne forêt que le sentier traverse. Benjamin et moi sommes séduits en quelques pas ; nous sommes entourés d’arbres millénaires au tronc énorme, de petites fleurs colorées, de scarabées arc-en-ciel, d’insectes et de lézards de toutes formes et couleurs. Nous mettons plusieurs heures à parcourir les deux petits kilomètres jusqu’au point de vue : il semble que tous les dix mètres, il y a quelque chose à observer, commenter, photographier ou écouter. La variété de chants d’oiseaux est étonnante. Mais les voir est difficile : ils passent trop vite, se posent dans les branches loin au-dessus, s’envolent à tire-d’aile malgré notre approche la plus silencieuse… On dirait la forêt peuplée de petits fantômes à plume !
Ces bois sont réellement exceptionnels : le Parc National Nahuelbuta est situé dans le seul endroit de la cordillère de la côte où l’on trouve des araucarias, fameuse espèce d’arbre native chilienne que nous avions déjà rencontrée au Parc National Conguillío. Durant la dernière glaciation de la région il y a 14 000 ans, deux zones de Nahuelbuta sont restées hors des glaces. Véritables arches de Noé, un grand nombres d’espèces animales et végétales y ont trouvé refuge. Ces zones ont donc conservé des populations d’araucarias et bon nombre d’espèces endémiques jusqu’à aujourd’hui. Elles ont aussi servi à la repopulation de la région une fois la glace disparue. La biodiversité de la cordillère de Nahuelbuta est admirable ; le parc est plein de vie partout où je pose les yeux. Pas étonnant qu’ils fassent partie de l’un des « points chauds de biodiversité » du monde !
C’est le soir de retour au campement que nous observons le mieux des volatiles : les petits chincols, communs en Amérique Latine, s’approchent pour nous chaparder quelques miettes. Puis un joli voisin qui vit au bord du ruisseau près duquel nous campons sort à la nuit tombante. Nous admirons son joli plumage bleu sombre et ses déplacements rapides sur ses longues pattes minces. Il nous surveille d’un œil tandis qu’il sonde l’eau en quête de nourriture, presque silencieux et plutôt craintif. Après recherche, je crois qu’il s’agit d’un pidén, dont le nom français est très engageant : Râle à bec ensanglanté ! Peu à peu le calme se fait, les chants d’oiseaux et les bourdonnements d’insectes se taisent. Des échos de chants et de cris joyeux nous arrivent du camping, couverts par le clapotis du ruisseau et les crépitements du feu de bois.
Insaisissable Pic de Magellan !
Partir hors saison est souvent associé à une météo plus capricieuse. C’est bien le cas : si nous avons des journées agréables, les nuits sont glaciales. Au petit matin, la tente est couverte de givre. Heureusement qu’il est possible de faire du feu ! Nous en profitons pour expérimenter sur la cuisson dans les braises des pignons d’araucarias que nous allons ramasser non loin : le résultat nous plaît assez, même si certains explosent sous la chaleur et envoient des morceaux en tous sens, pour le bonheur des chincols…
Réchauffés et rassasiés, nous nous remettons à nos observations d’animaux sauvages – si nous les trouvons. Un stagiaire qui a passé l’été dans le parc nous explique qu’il est courant de voir des renards ou des pics de Magellan caractéristiques de la région. Notre balade sur le sentier El Aguilucho nous mène jusqu’à une zone où nous nous étonnons du brusque changement de végétation. La forêt dense laisse place aux herbes, aux buissons et arbustes. Des arbres morts et secs, dont un bon nombre est toujours debout, complètent le décor. Tout à coup nous entendons un bruit prometteur : le picorement d’un pic. Nous sortons un petit peu du sentier pour y voir plus clair mais rien n’y fait, nous ne le trouvons pas. Je grimpe même à un arbre pour mieux le chercher des yeux…rien. Le bruit s’arrête, le pic est introuvable. Les oiseaux de Nahuelbuta tiennent décidément du fantôme !
Les seuls animaux que parvenons à voir de près, ce sont… des vaches ! Comme elles piétinent, cassent et mangent la végétation, elles n’ont pas leur place ici. Un garde du parc nous explique que l’installation de clôtures est trop coûteuse, mais qu’une route sera bientôt remise en état le long de la zone qui pose problème. Elle agira ainsi comme une barrière naturelle et elle poussera les propriétaires des parcelles proches du parc à y mettre des clôtures, enfermant ainsi leurs bêtes aux tendances vagabondes.
Nous finissons la journée par un nouveau tour du côté de la Piedra del Aguila à proximité de laquelle se situe la Casa de Piedra (maison de pierre). Fruit de l’érosion, c’est un abri naturel qui servit aux chasseurs et cueilleurs dans le passé. C’est plus spacieux et moins bas de plafond que je l’imaginais, mais je préfère quand même la tente… Le temps file, la journée s’achève et nous passons une deuxième nuit glaciale, emmitouflés et blottis l’un contre l’autre pour être au chaud. Après une matinée auprès du feu de bois, il est déjà temps d’y aller. On se sent vraiment bien ici, mais notre petit stock de pignons s’épuise et nous n’avons plus rien à manger : comme nous avons eu la chance d’avoir les nuits gratuites, nous en avons passé une de plus que prévu et il ne nous reste qu’une boîte de thon !
Autostop et visite guidée improvisée
Le retour en autostop est un peu lent sur les premiers kilomètres : il ne passe pas grand monde dans cette zone encore très rurale et isolée du Chili. Pas de commerces non plus, nos estomacs grondent alors que nous marchons en direction d’Angol, la prochaine ville, où nous prendrons le bus. Seulement voilà, nous arrivons à une intersection où Angol est indiquée à gauche comme à droite ! Nous attendons que quelqu’un passe pour demander notre chemin. Arrive bientôt un couple en pick-up, qui nous propose de venir avec eux pour visiter les environs avant de revenir ensemble en ville. Nous acceptons avec bonheur.
Notre guide improvisée, Jacqueline, nous donne tout ce qu’il reste de leur déjeuner : un pain, une tomate, un peu de mayonnaise et du Coca-Cola – moi qui n’aime pas cette boisson, j’en apprécie chaque goutte ! Nous déjeunons installés à l’arrière, le vent nous fouette le visage, la mayonnaise s’envole, la tomate juteuse coule sur nos mains, les virages, nids de poule et pentes de la route de gravier rendent l’opération difficile mais en ce qui nous concerne, ça vaut un grand restaurant. Nous savourons notre repas dans un beau paysage de montagne sous le ciel bleu, conscients de notre chance.
Jacqueline achète des lapins chassés par des paysans pour les vendre sur le marché à Angol. Son premier arrêt est dans une maisonnette perchée au bout d’un chemin de terre aux allures de montagnes russes. Ici on nous invite à manger du pain et de la confiture de mûre, faits maison et délicieux. On cause des lapins qui abondent, des renards voire des pumas qui descendent parfois jusqu’ici pour s’attaquer aux poules… Avant le départ, la maîtresse des lieux passe commande auprès de Jacqueline. La même scène se répète lorsque nous nous rendons au pied de la cordillère de Nahuelbuta, dans une vallée étroite, après une descente vertigineuse. Bouteille de gaz, fromage, Jacqueline fera office de livreuse à sa prochaine visite. Cette zone est fort isolée et très peu peuplée. Nous croisons plus de cavaliers et de bœufs que de voitures. Certaines routes ne semblent accessibles qu’en 4×4, les habitants se doivent d’être autosuffisants et je m’étonne presque de voir des poteaux électriques dans des lieux si retirés !
Alors que nous roulons en direction d’Angol, j’aperçois un fragile copihue en fleur au bord de la route. Le père de Benjamin a raison, la cordillère de Nahuelbuta est belle. A l’entrée du Parc National Nahuelbuta, un panneau rappelle que tous les géants qui le boisent ont commencé par être une minuscule pousse. Il invite le visiteur à respecter sous toutes ses formes cet ensemble exceptionnel d’êtres vivants et le lieu qu’ils occupent, transforment, subissent et subliment. Je repense un instant aux écoliers santiaguinos qui ont la chance de pouvoir visiter ce parc… Je ne peux pas m’empêcher de regretter que l’initiative ne soit pas plus courante et surtout, que l’accès soit bien trop coûteux pour un bon nombre de familles chiliennes. Leurs enfants ne profitent pas des richesses naturelles situées souvent à quelques dizaines de kilomètres de leur domicile. Pourtant, j’ai la certitude qu’un lieu tel que Nahuelbuta est idéal pour l’éducation à l’environnement : qui ne voudrait pas protéger un écosystème aussi beau mais bien menacé ?
Parc National Nahuelbuta Informations (en espagnol) : www.parquenahuelbuta.cl Tarifs entrée : Chilien adulte 2.500 CLP – enfant 1.000 CLP. Etranger adulte 4.000 CLP – enfant 2.000 CLP. Horaire : 8h à 20h, du lundi au dimanche. Camping: Chilien 10.000 CLP/site. Etranger 12.000 CLP/site. |
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2 commentaires
J’ai également eu la chance de visiter Parc National Nahuelbuta, c’est grandiose, la Faune et la Flore sont riches et exceptionnelles. C’est sur, il y a tellement de choses à voir qu’on pourrait en perdre les yeux :D. En tout cas j’ai adoré lire ton article, ça me rappelle de bon souvenirs. Au passage, tes photos sont superbes
Merci ! Un endroit magnifique, dans une région qui m’a totalement renversée. En Araucanie les gens et les guides parlent énormément de Pucón et Villarica mais ce beau morceau du Chili a vraiment encore plus à offrir.