Voilà, nous avons fini notre voyage de 2200 km en stop et sommes arrivés à notre destination : Ayr, dans le nord du Queensland. Dès les premiers pas dans la ville d’Ayr, je sais que ça n’est pas pour nous. Plus tard, j’essayerai de mettre le doigt sur ce qui m’a gênée et inspiré ce mélange de méfiance et d’inconfort. Le climat tropical, son air humide ? Je ne crois pas. Le comportement des habitants ? Non, ici comme ailleurs, ils sont polis et généralement avenants. Les armées de backpackers ? Pas du tout, j’ai l’habitude de me retrouver dans des villes où beaucoup travaillent et c’est dans l’une d’elles que j’ai rencontré Benjamin. La fin de notre petit road trip en stop ? J’étais plutôt contente à l’idée de nous arrêter un moment, de chercher du boulot dans les champs de cannes. Il n’y a aucune raison. Ayr fait partie des nombreuses petites villes propres et ordonnées typiques d’Australie ou de Nouvelle-Zélande. D’ailleurs elle ressemble à des villes où j’ai passé de très bons moments. Il n’y a aucun argument rationnel derrière cette sensation.
Mais j’ai appris de mes voyages que l’intuition est une bonne boussole et qu’il faut l’écouter. Ayr n’a rien de mauvais, j’ai juste su que ce n’était pas pour nous. En plus, mon impression se confirme : Benjamin et moi faisons le tour des backpakers (auberge de jeunesse) de la ville pour trouver un lit, sans succès. Ils sont tous complets depuis plus d’un mois, alors que la saison de travail ne commence qu’à peine. Nous venons de découvrir l’univers des working hostels, ces drôles de backpackers qui ne sont définitivement pas le genre d’endroit qui nous inspire confiance.
Un working hostel, c’est une auberge de jeunesse qui vous trouve un travail, en général dans le milieu agricole, et organise les transports. La gérante de l’un d’eux nous explique aussi que les règles de vie y sont strictes, le tout m’évoque vaguement ces ouvriers chinois logés dans des dortoirs à deux pas de l’usine où ils fabriquaient des iPhones, soumis à une discipline abusive en plus de conditions de travail et de vie déplorables. Elle nous explique qu’après 22h, les lumières s’éteignent et les règles concernant le bruit sont très fermes, du lundi au dimanche. Selon elle, c’est ce qui fait le succès des working hostels : les agriculteurs savent que leurs travailleurs sont reposés et en pleine forme pour bosser.
Enfin, l’argument d’accroche est que si on a un lit, on a un job. Plutôt pas mal, à première vue. Sauf que d’après mon expérience et celle de Benjamin, ce genre de combine est souvent organisée au profit de l’employeur et du gérant du backpackers, mais rarement au profit du travailleur. A Ayr et dans la zone, le phénomène est d’une ampleur surprenante. C’est le système en place, à tel point que trouver un job hors de ce circuit est très difficile.
Au caravan park où nous allons finalement passer la nuit, nous rencontrons pourtant deux canadiennes qui ont réussi. « Nous avons eu énormément de chance », m’explique Amy, « nous sommes arrivées au bon endroit au bon moment, alors que notre boss avait besoin de travailleurs supplémentaires. Mais tous nos collègues viennent de working hostels et avant cela, nous avions fait le tour d’absolument toutes les fermes dans l’espoir de trouver un job, sans succès. » Alors, est-ce un travail assuré au moins cinq jours par semaine, comme la gérante du working hostel nous l’affirmait ? Pas vraiment : nos nouvelles connaissances et leurs collègues ont des journées souvent très courtes, tributaires qu’elles sont d’éléments comme la météo. Amy nous explique que ces deux dernières semaines pluvieuses n’ont pas été très bonnes :
Avec ce qu’on gagne ce genre de semaine, on n’économise pas. On paye juste nos frais pour la semaine : nourriture, essence, hébergement. Au moins, c’est moins cher dans le caravan park qu’en working hostel. Eux, ils en sont souvent de leur poche.
Ça me rappelle mon premier job à Tauranga en Nouvelle-Zélande : cueillette des kiwis, boulot trouvé par le gérant de mon backpackers. Tous les jours, on était prêts à 7h du matin, au mieux on travaillait quelques heures, au pire on poireautait toute la journée, avec l’éternelle promesse que le lendemain, on travaillerait. Bien sûr, il fallait être dans le backpackers en question pour travailler avec cet employeur. Après une semaine de ce cinéma, mes collègues et moi avons enfin compris que nous formions l’équipe d’extras, utilisée seulement quand ils avaient besoin de finir la récolte dans tel ou tel verger rapidement. Alors on s’est fâchés, on s’est expliqué avec le gérant qui, voulant garder ses « locataires », a trouvé un autre employeur correct… mais j’ai quand-même été bien naïve au début et j’ai perdu une grosse semaine où je n’ai pas économisé puisque mon travail suffisait à peine à couvrir mes dépenses. J’ai appris qu’il fallait se méfier de ce genre d’offres, « Vis ici et tu peux travailler là ».

Pour certains, un symbole de la Nouvelle-Zélande, pour d’autres, un souvenir de dur labeur ! (à Te Puke, Nouvelle-Zélande)
A Tauranga, les backpackers n’étaient pas pleins, la main d’œuvre était demandée et notre gérant avait tout intérêt à régler notre problème. La côte est de l’Australie est remplie de jeunes en WHV qui aimeraient bien y travailler et économiser. Ils cherchent du travail dans l’agriculture pour pouvoir prolonger leur visa. Les workings hostels d’Ayr sont remplis un mois avant le début de la saison. Pendant un mois, des routards viennent à Ayr et se tournent les pouces. S’ils s’impatientent, je suppose que la porte est grande ouverte, car après tout, des tonnes d’autres seraient ravis de prendre leur place. Je n’ose pas imaginer ce qu’il se passe si les conditions de travail ou la rémunération sont mauvaises. Qui se souciera de les améliorer, quand des centaines d’autres personnes veulent le même job ? Je me demande si les travailleurs d’Ayr sortent gagnants. Arrivent-ils à économiser ? Si oui, économisent-ils autant qu’ils le feraient hors des working hostels ?
C’est simple : une rapide recherche sur internet me mène à des témoignages de personnes écœurées par les working hostels, prises au piège entre des avancées de frais délirants dans le backpackers et la nécessité de travailler en milieu agricole pour pouvoir faire une deuxième année de WHV, exploitées de toutes parts. Certains parlent même d’une « prise d’otage » de leur passeport. Sont-ils tous comme cela ? J’ose espérer que non… mais je conseillerais de se tenir éloigné le plus possible de ces drôles de combines.
Quant à Ben et moi, nous avons quitté Ayr pour aller plus au nord où nous avons trouvé le même système. Puis pour la première fois en Australie, faire du stop était plutôt galère : long temps d’attente et comportement insultant voire dangereux des conducteurs. Puis l’impression de faire une erreur, la sensation que ce n’était pas ici que nous trouverions notre bonheur s’est renforcée, jusqu’à ce que nous décidions de faire un truc un peu fou : traverser l’Australie sur plusieurs milliers de kilomètres, direction l’ouest, en stop bien sûr. Juste parce que notre instinct, notre boussole interne, nous disait de ne pas rester dans la région. Et mystérieusement, dès que nous sommes sortis de cette zone, faire du stop est redevenu beaucoup plus facile…
Et vous, que vous inspirent les working hostels ?
Mots-clefs : Le Queensland WHV Australie
3 commentaires
Hum Anne ton récit sur les working hostels fait remonter pleins de souvenirs et d’impressions similaires sur les combines de ce genre d’endroits…où je dois dire j’avais juste détesté vivre !! Mais que ne ferait-on pas pour des dollars qui nous permettent de continuer la découverte de la grande Australie …!!! Je pense que la côte Ouest sera pour vous, bonne route et à très vite j’espère pour d’autres news
Dear Hélène, ton commentaire me conforte dans l’idée qu’on a bien fait de partir ! Je reste convaincue qu’on se fait plus d’argent si on ne va pas dans ce genre d’endroit, même si ça veut dire sortir de la côte est, si populaire auprès des backpackers
Cala me rappelle un voyage en Irlande où tout allait bien jusqu’à mon arrivée dans une zone hyper touristique Killarney ; beaucoup d’attente en stop et sous la pluie alors si facile sur les petites routes d’ailleurs. J’étais heureuse de fuir cet endroit et il ne fallait pas aller bien loin pour retrouver le charme d’avant…